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Un sociologue directeur d'une école d'ingénieur...atypique

Quand en janvier 2002, un certain nombre de collègues professeurs à l'école m'ont sollicité pour prendre la suite de Serge TICHKIEWITCH à la direction de l'ENSGI, je leur ai d'abord répondu qu'ils se trompaient sûrement dans le casting et qu'ils étaient très imprudents...

N'était-ce pas risqué de confier le pilotage de cette école, encore jeune, à un sociologue de l'industrie et de l'innovation, qui de plus n'appartenait pas à la maison Grenoble INP, puisque j'étais alors en poste au CNRS dans le laboratoire CRISTO basé à l'Université Pierre Mendes France.

 

Il est vrai que le projet de cette école, je le connaissais bien et j'y croyais depuis sa naissance. J'avais en effet, sous la houlette de Michel HOLLARD, et avec les collègues de mon laboratoire, contribué à la réflexion qui devait permettre au premier dossier CTI de voir le jour. Et j'avais contribué modestement avec mon collègue Alain JEANTET, à mettre en place les premiers cours de sociologie, notamment ce dispositif atypique qu'on avait appelé "Enquête en Entreprise", et qui consistait à envoyer toute la promotion voir comment les outils du SPC (Statistical Control Process) se mettaient difficilement en place dans les entreprises, et observer qu'il y avait un gap entre les lois de la statistique et leur application effective au pied des machines. Ainsi sont faits les sociologues qui s'ingénient à démonter que rien n'est simple et que la logique des acteurs n'est pas réductible à celle des équations ou des outils de gestion.  Plus tard, ce furent des cours sur la Sociologie de l'innovation, puis sur les relations entre Stratégies d'entreprise et Prise en compte des contraintes environnementales, et surtout les cours à deux voix faits avec les collègues mécaniciens sur la problématique de la Conception Intégrée dans le DEA de Génie Industriel. Dans le même temps, je dirigeais l'IPI (Institut de la Production Industrielle), sorte d'institut sans mur, dont la vocation était d'encourager la mise en place de projets interdisciplinaires autour de l'automatisation et de ce qu'on désignait par modernisation industrielle.

 

Interdisciplinaire, le mot est lâché car c'est bien là le fil rouge qui guidait mes travaux de recherche et qui a fait que j'ai cru au concept original de l'ENSGI. Car le défi, alors posé à nos industries, était bien celui qui avait été identifié par les fondateurs de l'école : il fallait repenser en profondeur les systèmes de production de biens et de service. Pour cela il fallait inventer de nouvelles organisations industrielles. Et les compétences analytiques et de modélisation, aussi bien des sciences de l'ingénieur que des sciences sociales, étaient requises de façon conjointe. Plus précisément, l'enjeu pédagogique était de réussir l'articulation, mais sans craindre quelquefois la confrontation, d'approches relevant de champs disciplinaires différents.

 

Un engagement fort des industriels Un autre point fort caractérisait cette école ; l'engagement permanent des grands industriels présents dans le Club des Industriels. Pour moi, dont tous les travaux avait été conduits dans, et avec, des entreprises, cette présence apparaissait comme essentielle pour maintenir l'école au plus près de la réalité de lentreprise et de ses nouveaux défis. Cet engagement s'est d'ailleurs traduit par une mise à jour de la charte du club des industriels fin 2002, mais aussi par son élargissement à deux nouveaux membres : les sociétés ST Microelectronics et Bausch&Lomb. Une autre façon de mener la collaboration avec les industriels a été de lancer, avec eux, une série de séminaires réunissant industriels et enseignants chercheurs sur les nouvelles thématiques caractérisant le génie industriel : le concept de supply chain, les conséquences industrielles des fusions acquisition, l'intégration des contraintes liées à la supply chain dans la conception des produits, ou les effets de la mondialisation sur les organisations industrielles.

 

Mais si la voie avait ainsi tracée par mes prédécesseurs, le challenge était toujours aussi passionnant que d'actualité. C'est d'ailleurs ce que n'ont pas manqué de nous rappeler les Experts de la CTI (Commission des titres d'Ingénieur) venus vérifier en Janvier 2003, si en dépit de l'importance accordée aux sciences sociales et de gestion, l'ENSGI était bien  toujours une école d'ingénieur. Je crois, qu'aidés par les industriels du club,  nous les avons convaincus. Il est vrai que les très bons résultats du placement de nos élèves plaidaient pour nous. Et c'est avec un certain plaisir que nous avons retenu qu'à l'issue de leur expertise, ils nous incitaient, non seulement à poursuivre notre projet, mais à devenir l'école de référence dans l'enseignement du génie industriel.

Projets pour une nouvelle école de Génie industriel Projet est l'autre mot clef qui caractérise l'école. Et c'est ce que nous avons lancé à la rentrée 2002, et conduit en 2003, par la remise à plat de la maquette pédagogique de l'école. Ce projet a été conduit par Marie -Laure GAVARD-PERRET professeure de gestion, alors directrice des études. Là encore ce projet a impliqué l'ensemble des parties prenantes de l'école, les industriels et certains de nos anciens élèves. Le choix qui a été fait, à l'image de ce qui se passait d'ailleurs dans les entreprises, a été d'identifier les processus majeurs caractérisant nos enseignements en génie industriel.  On ne sera pas étonné que l'on ait alors retenu trois grands processus : le processus de mise à disposition de l'offre, le processus de création de l'offre, et le processus transversal d'amélioration continue et de conduite du changement.

 

Nous avions prévu de mettre en place cette nouvelle maquette à la rentrée 2004, mais cette programmation projet a été percutée par le souhait de l'équipe de présidence de Grenoble INP de mener dans toutes les écoles une réflexion sur leur offre de formation. L'objectif était double : décloisonner les formations pour que les élèves de toutes les écoles puissent bénéficier de la richesse et de la diversité de l'offre de l'établissement, et positionner l'établissement dans la réforme dite LMD (pour licence, master, doctorat) touchant les établissements universitaires, non seulement en France mais au niveau européen. L'objectif étant de rendre compatibles les parcours étudiants pour faciliter notamment leur mobilité à l'international.

 

En fait le décloisonnement, nous avions commencé à le mettre en place avec l'ENSIMAG, puisqu'à la rentrée 2003 nous avons ouvert, en troisième année, une option commune appelée LOSII (Logistique, Optimisation et Systèmes d'Information Industriels). Quand à la logique LMD, qui dans l'établissement s'est traduite par la mise en place dans toutes les écoles, de filières intégrant la deuxième et la troisième année, elle a pu s'appuyer assez naturellement sur la réflexion menée sur les processus.  Par contre nous avons considéré que la remise à plat des formations constituait une réelle opportunité pour renforcer nos enseignements sur le processus de création de l'offre en montant avec nos collègues de l'école d'Hydraulique et de mécanique une filière commune sur la conception et l'ingénierie de produit.

 

C'est donc ce qui a mobilisé nos énergies pendant trois ans : inscrire durablement l'ENSGI dans l'offre de formation de Grenoble INP, enrichir son offre et ce faisant augmenter la taille de l'école. J'ai eu la responsabilité de conduire ce projet jusqu'en juin 2006, date à laquelle nous avons remis un premier pré-dossier à la CTI. En janvier 2007 nous recevions un avis favorable, nous incitant à poursuivre le projet, et c'est Jeanne Duvallet alors chef de projet qui l'a mené à bonne fin, pour aboutir à la création de la nouvelle école Génie industriel en Septembre 2008.

 

Au final, pour moi, six années autant passionnantes qu'inattendues, le plaisir d'avoir travaillé en équipe avec des collègues qui ont tous joué le jeu pour s'engager dans les projets de l'école, que ce soit les enseignants chercheurs ou les personnels administratifs.

Henri TIGER, directeur de l'ENSGI d'Avril 2002 à Septembre 2008