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Gestion des flux énergétiques dans les bâtiments

...ou comment mieux concevoir des systèmes adaptés à la diversité des usages

Les enjeux de parcimonie énergétique conduisent les hommes à améliorer l'usage qu'ils font de l'énergie non seulement en optimisant les systèmes existants mais aussi en inventant de nouveaux paradigmes. Ceci est particulièrement vrai dans le secteur du bâtiment résidentiel et tertiaire, responsable de 43% de la consommation en énergie primaire et de 64% de la consommation d'électricité, où l'exigence pourrait céder la place à la demande de service...

Réduire et rationaliser la dépense énergétique de l'habitat est un enjeu majeur du XXIème siècle. Aujourd'hui, construire des bâtiments basses consommations dotés de très bonnes isolations thermiques et limitant les ponts thermiques est essentiellement un problème économique et politique : les technologies et les méthodes constructives existent et seule la question du déploiement reste problématique. L'efficacité énergétique, au sens du rendement des équipements, est aussi bien maîtrisée : les systèmes thermodynamiques, les équipements blancs et bruns atteignent aujourd'hui des performances remarquables. Par ailleurs, les systèmes de production locaux d'énergie (photovoltaïque, solaire thermique, hydrolienne,...) se développent permettant ainsi d'éviter la multiplication par le facteur de conversion énergie électrique - énergie primaire français de 3,17 selon l'ADEME (2,54 selon EDF). Peut-on pour autant conclure que le problème est résolu ? Qu'en est-il des mauvais usages de l'énergie ? Qu'en est-il du déploiement massif des énergies  renouvelables ?

De l'efficacité vers l'efficience énergétique

Dans le cadre du programme Homes, Schneider Electric annonce qu'il est possible d'économiser 20% d'énergie dans un bâtiment en introduisant des systèmes de contrôle-commande qui permettent de mieux s'adapter aux usages. Les usages sont en effet la dimension oubliée de l'efficacité énergétique : la tendance actuelle est à l'exigence de performances record et laisse présager les bâtiments thermos vers lesquels nous nous dirigeons. La plateforme état de l'art "Predis Monitoring et Habitat Intelligent" a été conçue récemment sur la base de simulations thermiques, avec toutes les incertitudes inhérentes à une modélisation a priori pour des usages postulés. Dans les faits, les chercheurs, enseignants et étudiants qui y travaillent, vivent des étés difficiles : rien n'a été prévu pour s'adapter aux usages réels car l'espace était initialement prévu pour être inoccupé l'été. Mais que signifie intégrer les usages ? Il s'agit d'une part d'intégrer la variété des usages dès la conception du système bâtiment avec son bâti et ses équipements. Il s'agit aussi d'ajuster le fonctionnement du système bâtiment aux usages : on parle alors de bâtiment intelligent et d'efficience énergétique. Il s'agit de repenser le système bâtiment comme un système de services rendus aux occupants et de faire en sorte que l'énergie requise à son fonctionnement produise effectivement la satisfaction attendu pour chacun des services : chauffage d'une pièce, lavage du linge,... On retrouve ainsi des notions communes avec le génie industriel.

Des smart-grids aux smart-buildings

L'objectif européen, repris par le Grenelle de l'environnement, de 20% d'énergie renouvelable pose de nouveaux problèmes aux gestionnaires du réseau électrique. Comment en effet assurer l'équilibre consommation-production alors qu'une part de plus en plus importante des moyens de production (photovoltaïque, éolien,...) ne sont plus contrôlables et que le stockage d'énergie électrique n'est pas envisageable à grande échelle ? On parle d'énergies fatales : elles doivent être consommées au moment où elles sont produites. Pour compenser la perte de flexibilité sur la production d'énergie, il faut introduire de la flexibilité au niveau de la consommation. En France, 3% de l'énergie électrique est consacrée au transport, 30% au secteur industriel et 64% au secteur bâtiment résidentiel et tertiaire ! Au vu de ces valeurs, on comprend aisément pourquoi le bâtiment aura un rôle majeur à jouer dans l'introduction massive des énergies renouvelables. Les smart-grids pourront envoyer des signaux tarifaires variables selon les contraintes liées à la disponibilité de la ressource énergie électrique et les smart-buildings adapteront leur consommation en tenant compte des demandes de services des occupants et du coût de l'énergie. Il s'agit donc d'un problème de recherche de compromis optimaux entre satisfaction résultant des services demandés par les usagers et coûts.

Les verrous scientifiques

Les smart-buildings posent de nombreuses questions aux chercheurs et aux ingénieurs et en tout premier lieu, comment formuler le problème de gestion globale d'espaces de vie où les occupants expriment des demandes de service complexes. Contrairement à la plupart des systèmes étudiés jusqu'à maintenant en génie industriel, les systèmes bâtiments ne peuvent être produits en série du simple fait de la variété des usages et des environnements. Ainsi, pour des raisons de coût, un système de gestion énergétique ne peut être conçu spécifiquement pour chaque bâtiment. Il doit être auto-configurable, auto-adaptable : on parle de systèmes auto-x. Cela requiert de nouveaux algorithmes d'apprentissage capable de s'adapter à de nombreux contextes : découverte des équipements, découverte des modèles des équipements, détection des usages,... En exploitation, il faut concevoir des systèmes de gestion énergétique adaptable à la variété des contextes et particulièrement robustes aux incertitudes sur les comportements des équipements mais aussi sur les demandes de services par les occupants qui doivent être prédites lorsqu'elles ne sont pas programmées. Intégrer les usages, c'est aussi être capable de simuler le système bâtiment avec ses occupants avec des modèles d'occupants sensibles à l'environnement afin d'éviter le transfert de consommation : si un système de gestion programme des périodes fraîches et qu'en réaction, certains occupants allument systématiquement un système de chauffage complémentaire, le bilan sera pire que sans système de gestion énergétique. Prendre en compte l'usage, c'est aussi analyser et aider à diagnostiquer les équipements et les comportements des occupants.

Les solutions en cours de construction

Des chercheurs du laboratoire G-SCOP en compagnie notamment de chercheurs des laboratoires G2ELAB et LIG, ont initie dès 2005 des recherches sur la gestion intelligente des flux énergétiques dans l'habitat. Ces recherches ont conduit au framework logiciel G-homeTech qui permet de résoudre des problèmes d'optimisation générés dynamiquement pour les systèmes bâtiments. Ce framework repose sur une vision service du système bâtiment et permet d'une part de construire des plans de fonctionnement anticipés typiquement 24h à l'avance, pour les équipements du bâtiment et qui optimise un compromis coût/confort, et d'autre part, il applique ces plans en les adaptant aux contextes réels qui sont rarement conformes aux prévisions. Ce framework a fait l'objet d'un dépôt de brevet et il est valorisé par la start-up VestaSystem. Les recherches actuelles autour de G-homeTech visent à d'une part, à mieux prendre en compte les incertitudes connues dès la phase de calcul de plan anticipatif et d'autre part, à introduire une vision agent pour intégrer les services singuliers dont les modèles ne peuvent être exprimés sous forme standard. Des recherches complémentaires sur la prédiction des demandes de services et, en partenariat avec l'équipe MAGMA du LIG, sur la simulation de personnages sensibles à l'environnement sont aussi en cours.

Ces travaux ont été développés grâce à de nombreux projets collaboratifs avec des partenaires  comme Schneider electric, Orange Lab ou l'Institut National de l'Energie solaire.

Contact : Stéphane Ploix, Laboratoire G-Scop

Références bibliographiques

  • S. Abras, S. Ploix, S. Pesty, and M. Jacomino Informatics in "Control, Automation and Robotics III", volume 15 of Lecture Notes in Electrical Engineering, chapter A multi-agent home automation system for power management, Springer Berlin Heidelberg, 2006.
  • S. Abras, S. Ploix, S. Pesty, and M. Jacomino "Artificial intelligence and innovations: from theory to applications", volume 247, chapter A multi-agent design for a home automation system dedicated to power management, pages 233-242, Springer eBooks collection, 2007
  • L. D. Ha, S. Ploix, M. Jacomino, and F. Wurtz, "Energy Management", chapter A mixed integer programming formulation of the home energy management problem, INTECH, 2010.L.
  • D. Ha, S. Ploix, E. Zamai, and M. Jacomino, "Realtimes dynamic optimization for demand- side load management", International Journal of Management Science and Engineering Management, 3(4), November 2008.
  • L. Hawarah, S. Ploix, and M. Jacomino, "User behavior prediction in energy consumption in housing using bayesian network" in 10th international conference on Artificial Intelligence and Soft Computing, Zakopane, Poland, June 13-17 2010.