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L'Ecole Nationale Supérieure de Génie Industriel: création et premières années

Gérard Cognet, Professeur de mécanique, fondateur et premier directeur de l'Ecole Nationale supérieure de Génie Industriel retrace la création de l'école sous l'impulsion vigoureuse de l'Institut National Polytechnique de Grenoble, l'Université Pierre Mendès France et un groupe d'industriels grenoblois, répondant ainsi à des évolutions socio-économiques majeures pour les entreprises

Les prémices du projet

Au milieu des années 80 une réflexion nationale est engagée pour accroître sensiblement le nombre d'ingénieurs formés dans notre pays. A cette époque, l'Institut National Polytechnique de Grenoble, sous la présidence de Daniel Bloch, opte résolument pour la définition de nouveaux cursus dans l'objectif de mieux répondre aux  besoins qui se dessinaient dans la perspective socio-économique du moment. C'est ainsi qu'ont été définis les contours d'une filière nouvelle concernant : "la maîtrise des systèmes de production et la conduite des projets industriels", désignée à l'étranger sous le vocable de "génie industriel" (industrial engineering).

Il s'agissait d'un projet sans équivalent en France avec cependant certaines filières de référence dans quelques grandes écoles (Mines de Paris, Ponts et Chaussées, Centrale Paris), mais surtout dans des formations hors de nos frontières: en Europe (Allemagne, Pays-Bas, Suède), Amérique du nord  (USA et Canada) et Japon.

En parallèle à Grenoble, à l'initiative de plusieurs enseignants chercheurs de l'Université des Sciences Sociales (devenue Université Pierre Mendès France), sous l'égide de l'économiste Michel Hollard, se développait une recherche sur l'évolution des hommes et des techniques dans les systèmes de production, labellisée par le CNRS : Groupement Scientifique Interdisciplinaire de Productique (GSIP)

La convergence des initiatives Ces réflexions concomitantes pour la définition d'un nouveau profil d'ingénieur et la mise en œuvre d'une recherche pluridisciplinaire en sciences de la production ont progressivement convergé associant  étroitement dans les groupes de travail des enseignants-chercheurs de l'INPG et de l'UPMF. Par ailleurs un groupe d'industriels sous l'impulsion vigoureuse de son chef de file Jean Vaujany, alors président directeur général de Merlin Gerin, puis vice-président de Schneider Electric, apportait son appui au projet, encourageant fortement le rapprochement entre les sciences de l'ingénieur et les sciences humaines et sociales.

La fondation  tripartite de l'école était désormais établie. Les instances des établissements donnaient leur accord fin 1988 et début 1989, pouvant dés lors présenter le projet auprès du ministère de l'enseignement supérieur et de la Région Rhône-Alpes, préfigurant en particulier les moyens de sa mise en œuvre dans le cadre du contrat Etat-Région qui s'engageait. Un poste de professeur de mécanique, chef de projet, était affecté à l'INPG (Gérard Cognet) et un  poste de professeur en sociologie industrielle était accordé à l'UPMF (Denis Segrestin)

Une étape importante restait à franchir : la demande d'habilitation auprès de la commission des titres d'ingénieur (CTI), d'autant que certains de ses membres insistaient alors sur l'exigence d'une formation  sans compromis  s'agissant des "sciences dures de l'ingénieur".

Le dossier fixait l'objectif : de former des ingénieurs aptes à la conception et à la gestion des systèmes de production et des projets industriels.

Il s'appuyait sur une définition du génie industriel qui serait « l'art de gérer de façon optimale les ressources techniques, économiques et humaines de l'entreprise afin d'en améliorer les performances ».

Le programme réservait 60% du temps de formation aux sciences de l'ingénieur et 40% aux sciences sociales et langues. Les modalités d'apprentissage de la vie industrielle étaient précisées et la concertation au sein d'équipes pédagogiques pluridisciplinaires était organisée.

L'engagement conjoint porté par les présidents de l'INPG, Georges Lespinard, et de l'UPMF, Bernard Pouyet, s'est traduit par une convention de partenariat sur les objectifs et les moyens respectifs affectés au projet. Les acteurs industriels d'origine (Merlin Gerin, Bull, Hewlett-Packard, Manducher, Renault et la Lyonnaise de Banques) ont  témoigné formellement de leur engagement. Une charte du club d'industriels sera signée solennellement deux ans plus tard dans le cadre prestigieux de l'académie des sciences, sous les auspices de son secrétaire perpétuel, Paul Germain. Le 3 mai 1990, la CTI donnait un avis favorable à l'unanimité de ses membres, avec le commentaire oral suivant : s'il fallait faire quelque chose dans le domaine du génie industriel, c'est bien à Grenoble qu'il convenait de le faire !

Septembre 1990 : accueil de la première promotion 

Les modalités du concours d'entrée devaient permettre de recruter de jeunes personnalités à haut potentiel scientifique, manifestant un esprit d'ouverture et une motivation pour le projet de l'ENSGI. Une épreuve spécifique d'entretien, en complément des épreuves du concours commun polytechnique, a été instituée à cet effet. Le jury est composé d'un industriel, d'un enseignant  en sciences de l'ingénieur  et d'un enseignant en sciences humaines et sociales.

Sur les 610 inscrits au concours, 171 sont déclarés admissibles, 72 sont classés, au final 22 entrants pour 20 places affichées. Une élève est retenue sur la filière ouverte aux très bons étudiants, au niveau licence de sciences économiques.

Le  27 septembre 1990, l'arrêté de création de l'école est publié au  journal officiel.

L'ensemble des partenaires (INPG, UPMF, Industriels) accueillent la première promotion. Jean Vaujany en est le parrain.

Le corps enseignant est  fourni essentiellement par les laboratoires du GSIP, familiers de la pratique interdisciplinaire. L'institut a accordé deux postes administratifs pour le  démarrage de l'école installée dans des locaux aménagés du site Viallet.

La première année 1990/91 est  consacrée à la mise en place des instances  statutaires traduisant le partenariat spécifique de l'école. Le conseil  comprenait 50% de personnalités extérieures; 12 sur 24, dont 7 membres du club des industriels, l'un d'entre eux assurant la présidence. Dans le collège des enseignants chercheurs 1/3 des sièges était réservé aux représentants des sciences sociales. L'année s'achève avec l'élection du président : François Juillet (Lyonnaise de Banque), du vice-président : Pierre Adichvilli (HP) et la nomination du directeur : Gérard Cognet.  

La recherche au carrefour des SHS et des SPI

Le GSIP a été la matrice de l'activité de recherche en génie industriel. La réflexion dans ce domaine s'est poursuivie. La collection d'ouvrages « Génie industriel », créée à cette époque, en a été l'illustration, de même que le colloque du CNRS, sur l'interdisciplinarité, organisé à Grenoble en 1994. Mais l'intérêt de former des enseignants chercheurs dans cette perspective apparaissait logique. Un dossier conjoint de DEA suivant cette approche a été soumis dès 1992 au ministère, par l'INPG, l'UPMF et l'UJF. Retenu par la direction de la recherche et des études doctorales, il est cité en exemple pour la campagne d'habilitation de l'année 1992.

C'est un succès avec 15 étudiants inscrits dont plus de la moitié poursuivront en thèse dans les laboratoires d'accueil du GSIP. Le laboratoire GILCO de l'ENSGI sera créé sur cette lancée par Yannick Frein.

Les premières années de développement de l'école.

Les promotions durant les années suivantes s'inscrivent dans une progression maîtrisée, garantissant la qualité des candidats : 32 à la rentée 1991, 51 en 1992, en ligne avec l'objectif d'atteindre la centaine à la fin de la décennie. Les moyens suivent plutôt qu'ils ne précédent le développement. Les institutions mères et les tutelles tiennent sensiblement leurs engagements. L'école accroît ses surfaces sur le site : après les 200 m2 du premier accueil, elles passent successivement à 900 m2  puis à 4000 m2  avec la construction prévue au contrat de plan Etat-Région. La motivation et l'effort des enseignants et personnels administratifs a permis de soutenir ces avancées.

Les relations internationales nouées par l'école ont été également un puissant outil d'ouverture et d'échanges pédagogiques, scientifiques et culturels pour les élèves et les premiers diplômés malgré une conjoncture peu favorable se sont placés dans de bonnes, voire très bonnes, conditions dans le monde industriel qui découvre et apprécie la formation, en témoignent les enquêtes de satisfaction et de rémunération conduites par l'INPG. On note en particulier la réussite des jeunes files qui représentent un tiers des élèves ingénieurs.

Premier constat

Ainsi le modèle du génie industriel mis en œuvre par l'ENSGI, fondé sur un triple partenariat (SPI, SHS, Club industriel), a été validé par les responsables socioéconomiques,  conscients de la nécessité d'adapter sans cesse l'entreprise aux évolutions du monde; il a été également reconnu par les autorités académiques pour l'apport conceptuel  qu'il représente en termes de croisement entre les sciences humaines et sociales et les sciences  de l'ingénieur, pour l'enseignement et la recherche; reprenant un vocable, cher au président Jean Vaujany, il a contribué à relever le défi de la formation d'un ingénieur « global ».

Les autres collègues de l'école montreront dans leurs contributions la suite de l'histoire.

Gérard Cognet, Septembre 2010