Ayant l'expérience de la direction d'une école d'ingénieurs à statut privé, rattachée à l'INPG, L'Ecole Française de Papeterie qui était devenue sous son impulsion l'Ecole Française des industries Papetières et Graphiques (EFPG), il était à cette époque Directeur du Laboratoire d'Automatique de Grenoble, fondateur et Directeur de l'Atelier Inter-établissement Dauphiné-Savoie et Président (fondateur) du Comité Scientifique et Technique du Pôle Productique Rhône-Alpes dont la mission était de développer des liens entre les chercheurs des différentes disciplines de la Productique, d'une part, et ces chercheurs et les industriels utilisateurs de la Productique, d'autre part.
Après une analyse des atouts de Grenoble pour une telle opération, il retrace les différentes étapes de la mission dont les travaux ont abouti à la création de l'ENSGI sous l'impulsion de Gérard Cognet.
La mission
Conscient des besoins de l'industrie et des capacités de l'Enseignement Supérieur à Grenoble, Daniel Bloch, Président de l'INPG entre 1982 et 1987, a souhaité que l'on développe le Génie Industriel, avec une orientation pluridisciplinaire.
Afin de sonder les capacités de réponse des différents acteurs potentiels, un premier groupe de travail a été réuni au cours du deuxième trimestre 1986, regroupant des représentants de l'INPG, de l'UMPF et du CENG.
Devant l'accueil favorable de cette idée, Daniel Bloch décida alors de charger d'une mission officielle Claude Foulard, en lui adjoignant un Ingénieur de Recherche CNRS mis à disposition par le Recteur des Universités de Grenoble, Maxime Vincent. La mission devait réfléchir à la manière dont l'INPG pouvait répondre à la demande des industriels, en s'associant à des acteurs qui ne relèvent pas du secteur des sciences de l'ingénieur. La proposition devait permettre d'atteindre trois objectifs : proposer une formation initiale d'ingénieur, satisfaire les besoins des écoles existantes (cours et projets s'adressant à des élèves comme ceux de l'ENSIEG, par exemple) et développer une recherche en Génie Industriel. Le travail de la mission "Génie industriel" démarra le 1er octobre 1986.
Les formations au génie industriel en 1986
Le génie industriel est une discipline déjà ancienne. Sa pratique est liée à l'histoire du développement économique, social et technique des pays développés depuis le 18ème siècle. Certains le font remonter à Adam Smith qui publia en 1776 une étude sur les bénéfices économiques de la division du travail, d'autres à Frederich W. Taylor (1856-1915), père du Taylorisme.
En 1986, les formations en génie industriel étaient très développées aux Etats-Unis, au Japon et au Canada. Aux Etats Unis le premier cours avait eu lieu à la Penn State University, en 1908. En 1986, la discipline était enseignée dans 138 universités ou instituts et plus de 115 000 ingénieurs en génie industriel étaient recensés. Au Japon, le livre de Taylor a été traduit dès 1913 et les premiers enseignements ont débuté avant la seconde guerre mondiale à l'Université de Waseda. En 1986 plus de 54 établissements diffusaient une formation en génie industriel avec un flux annuel de diplômés de l'ordre de 5 000 étudiants. Au Canada, l'histoire est plus récente : 1960 à l'Université de Toronto, 1966 à l'Ecole Polytechnique de Montréal. En 1986, six centres universitaires ont formé 2 500 ingénieurs industriels.
En France, l'histoire est encore plus récente, et les formations sont très ancrées aux sciences de l'ingénieur : c'est en 1975 que s'ouvre à l'INPL (Nancy) une option "Génie technico-économique" pilotée par Maurice Castagné. En 1979, l'IPSOI de Marseille (Institut de Pétroleochimie et de Synthèse Organique Industrielle) ouvre une section spéciale en "Gestion des projets industriels" (Yvon Gousty). En 1980 l'habilitation d'une formation doctorale en Génie Industriel et une année de spécialisation débouchant sur un certificat d'études approfondies sont délivrées à l'Ecole Centrale de Paris (Pierre Dejax). En 1982, l'IPSOI est habilitée pour une formation doctorale en génie industriel, mais les enseignements à l'IPSOI cesseront rapidement faute de création de postes d'enseignants. En 1984, l'INPL est habilité pour un diplôme d'Ingénieur en Génie des Systèmes Industriels (formation spéciale en un an). En 1986, les options prises en France sont plutôt d'ordre technico-économique, sous forme de compléments donnés à des formations initiales d'ingénieurs. Le concept de génie industriel se développe et dans les années qui suivirent, de nombreux centres universitaires ont développé des enseignements de spécialisation en un an.
Un colloque Franco-Québécois est organisé à Marseille, par Yvon Gousty, en juillet 1981. En octobre 1984 et janvier 1985, il publie dans les cahiers du CEFI une enquête sur "Les formations de génie industriel aux Etats-Unis". En mai 1986, Maurice Castagné publie un livre blanc : "Le génie des systèmes industriels en France : développement et prospectives" Un 1er congrès international en France est organisé à Chatenay-Malabry par Pierre Dejax en juin 1986 : "Le Génie Industriel facteur de compétitivité des entreprises".
Chaque pays avait sa propre définition du génie industriel, et ce sont les Japonais qui, les premiers, au delà des sciences de l'ingénieur et des sciences économiques, ont mis en avant le rôle essentiel des sciences humaines et sociales et donc la nécessité de leur intégration à une formation d'ingénieur en formation initiale.
Les atouts de Grenoble
Dans ce contexte, il est certain que Grenoble (et donc l'INPG) était l'un des seuls centre universitaire français (voire le seul) disposant de tous les atouts permettant de créer rapidement une école d'ingénieurs en génie industriel (en formation initiale, Bac+5). En effet :
- l'Etat avait décidé de créer 7 Ateliers Inter-établissements de Productique ; il y avait un à Grenoble, lancé en 1984 par Claude Foulard et qui a reçu ses premiers élèves en octobre 1987 ;
- la Région Rhône-Alpes a créé en 1984 un "Pôle Productique Rhône-Alpes" s'adressant aux entreprises, et notamment aux PME, pour les aider à intégrer les démarches de la productique et du génie industriel (sans utiliser ce terme !). Claude Foulard a participé activement à la création et présidé pendant 10 ans le "Comité Scientifique et Technique" du PPRA, créé la même année, regroupant tous les acteurs universitaires de la productique (les équipes de recherche de l'UPMF - Michel Hollard, Alain Jeantet, Henri Tiger... - rejoignirent rapidement le CST) ; le rôle du CST a été essentiel car il a permis à des chercheurs de disciplines différentes qui s'ignoraient, de se connaître, de découvrir les problématiques de recherche de chaque groupe et leurs complémentarités, de travailler sur des projets communs financés par la Région, l'Etat ou l'Europe... ;
- l'INPG, l'UPMF, l'ESCG (Ecole Supérieure de Commerce de Grenoble) avaient déjà des échanges d'enseignants pour des cours relevant de la compétence de chacun, ou des projets d'élèves communs, et souhaitaient créer ensemble une école d'ingénieurs en génie industriel ;
- les enseignants et chercheurs de l'INPG et de l'UPMF participant au CST du PPRA s'étaient regroupés dans un Groupement Scientifique Interdisciplinaire de Productique, encore informel (ARTEMIS, le LAG, TIM3, le LIFIA en Productique, Recherche opérationnelle, Ordonnancement ; le CERAG en Finance, Management stratégique, Systèmes d'information et de décision, l'IEPE en Calcul économique, Internationalisation de l'économie, Gestion des grands groupes internationaux, IREP D et le CERAT en Economie, Innovation, Croissance, Qualifications, Ressources humaines).
- de nombreux industriels, tant dans les grandes entreprises que dans le PME, souhaitaient pouvoir embaucher des ingénieurs en Génie industriel.
La conduite du projet
Après une phase de recherche documentaire sur ce qu'était le génie industriel et les formations existant dans le monde, nous avons rencontré les principaux acteurs au niveau national et participé à des groupes de travail avec les responsables des diverses formations existantes ou les nombreux projets. En orientant le projet grenoblois vers une formation initiale, nous nous sommes rapidement aperçus que c'était une position isolée, car seul Grenoble disposait de tous les atouts.
Au niveau local, un groupe de travail de la "mission Génie industriel" a été créé pour approfondir le concept de Génie industriel, étudier l'opportunité de créer à Grenoble une formation dans ce domaine, réaliser une enquête auprès des milieux industriels et économiques, élaborer un projet pédagogique et un projet d'école. Il comprenait cinq représentants de l'UPMF, cinq de l'INPG, deux de l'ESCG, un de la DATAR, un du CENG et un du Centre Technique du Papier.
Pour l'enquête auprès des milieux industriels et bancaires, 23 responsables d'entreprises ont reçu une maquette du projet de formation éditée en février 1987, et ont été rencontrés par deux membres du groupe de travail qui avaient une fiche (guide) d'entretien détaillé. Après chaque entretien, un rapport a été rédigé. Parmi ces responsables d'entreprises, il y avait 14 dirigeants appartenant à des grands groupes, 2 banquiers et 7 dirigeants de PME. La plupart étaient enthousiastes. Nous avons découvert ainsi des partenaires très motivés pour participer au projet (Comité de parrainage, élaboration du projet, participation directe à la formation) et des futurs employeurs prêts à embaucher chaque année plusieurs ingénieurs diplômés en Génie industrie ayant suivi une formation en 5 ans. Ces engagements ce sont vérifiés au moment de la création de l'ENSGI et continuent encore aujourd'hui.
Une Ecole Européenne d'Ingénieurs des Sciences du Génie Industriel
L'avant projet de création d'une Ecole Européenne d'Ingénieurs des Sciences du Génie Industriel a été présenté successivement à Daniel Bloch, Président de l'INPG, aux "leaders" nationaux des formations en Génie industriel, puis le 19 mai 1987 à Georges Lespinard, nouveau Président de l'INPG, au CA de l'INPG du 25 juin et, le 9 juillet à Bernard Pouyet Président de l'UPMF. L'accueil a été très favorable. Il fut également présenté à tous les industriels consultés et Jean Vaujany, PDG de MerlinGerin, dans une lettre d'appui de 3 pages, souhaitait, notamment, le développement du nombre d'heures de présence à l'école. Par la suite son soutien à l'ENSGI a confirmé son adhésion aux différents projets qui lui furent proposés.
Le projet définitif fut présenté au CA de l'INPG du 22 décembre 1987. Il avait été présenté préalablement au Directeur de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, Christian Philip, en visite à Grenoble le vendredi 30 octobre 1987, et dans Le Monde du même jour, un long article signé par le journaliste Jean-Louis Saux (PDF, 216ko) développait les idées fondatrices du projet qui prévoyait de nombreuses innovations pédagogiques par rapport aux écoles d'ingénieurs existant :
- formation en 5 ans, avec recrutement après le Baccalauréat,
- une formation pluridisciplinaire répartie tout au long de la scolarité,
- 10 mois de cours par an avec une répartition globale de 3 750 heures de cours proprement dit, 250 heures de sport et 10 mois de stage,
- 52% des heures de cours consacrées aux sciences de base et aux sciences de l'ingénieur, 24% aux sciences économiques et de gestion de l'entreprise, 16% aux sciences sociales, et humaines et 8% aux études de cas, séminaires et projet de fin d'étude,
- une organisation des études basée sur des Unités de valeur
- au moins 10% des enseignements et des examens en anglais
- 6 mois de scolarité dans une Université Européenne (en 3ème ou en 4ème année)
- 2 mois de stage par an, en partie pendant les grandes vacances, le premier étant un stage ouvrier et les autres étant effectués dans divers services : production, banques, assurances, bureaux d'études...
La recherche est présente à l'école, la formation continue y est développée, le recrutement en cours de scolarité est possible, une section spéciale est créée également.
Enfin, l'une des nouveautés par rapport aux ENSI est la création d'un corps d'enseignants-industriels ayant une part de leur activité professionnelle à l'école et une autre dans une entreprise. C'est le pendant des enseignants-chercheurs des Universités Françaises. Ce corps d'enseignants ne pouvant pas être créé dans le cadre de l'Education Nationale, cette nouvelle école devait avoir un statut privé, analogue à celui de l'EFPG, sous convention avec le Ministère et rattachée à l'INPG, ayant à la fois des moyens (financiers et personnels) publics et privés. C'est également, depuis sa création, le statut de l'Ecole Supérieure d'Electricité. Il était proposé que l'ESCG soit chargée de la gestion privée.
Ce projet se heurta à l'opposition des anciens élèves qui estimaient qu'un recrutement au niveau du Bac dévaloriserait l'INPG et des Directeurs des autres écoles de l'INPG qui, probablement par crainte d'une perte de taxe d'apprentissage, ne voulaient pas de ce statut privé. Et pourtant, quelques années plus tard, l'INPG créa le CPP pour pouvoir recruter de bons élèves au niveau du Bac et une école à statut privé avec la Chambre de Commerce à Valence !
Le succès de l'Ecole Nationale Supérieure de Génie Industriel
Après quelques mois d'hésitations, Georges Lespinard souhaita que le projet soit repris et adapté dans le cadre des ENSI. Claude Foulard n'ayant pas souhaité assumer cette charge, le projet fut confié à Jean Fonlupt. Il s'avéra que le management d'un projet pluridisciplinaire, faisant intervenir de nombreux acteurs de cultures très différentes, n'était pas une tâche aisée et, finalement, il fut décidé de créer un poste de professeur pour un recrutement extérieur. Gérard Cognet, nommé à la rentrée scolaire 1989 a su transformer le projet en une formation en trois ans avec un recrutement après la taupe.
L'école génie industriel de Grenoble a ouvert ses portes il y a 20 ans, très soutenue par les industriels. Elle s'est fortement développée grâce au travail intense de tout son personnel, et à la participation d'organismes extérieurs, dont l'AIP qui y créa une plateforme AIP GI-NOVA (Innovation, prototypage et simulation des systèmes de production).
Depuis 20 ans, l'école génie industriel répond pleinement aux besoins exprimés par les industriels et fait honneur à l'INPG. Grâce à tous ses atouts Grenoble a gagné son challenge.